À l’occasion de la journée internationale de l’Infirmière et des 200 ans de la naissance de Florence Nightingale, Mme Monique Birkel, directrice des Soins du Centre Hospitalier de Luxembourg, a souhaité rendre hommage à ses équipes et encourager les jeunes à choisir cette profession. Découvrez son message dans le vidéo ci-dessous.
Réflexions par l'équipe de la Direction des Soins du Centre Hospitalier de Luxembourg à l'occasion du bicentenaire de la naissance de Florence Nightingale: Regards sur le parcours de la profession d'infirmière
Introduction
Nous fêtons ce 12 mai 2020 les 200 ans de la naissance de Florence Nightingale ce qui nous donne l’occasion de contextualiser la profession infirmière et de nous pencher sur son évolution. Parallèlement à ce bicentenaire l’OMS a proclamé en septembre dernier que 2020 serait l’année des infirmières et des sages-femmes. Cette célébration nous invite à jeter un regard attentif, juste et réaliste, sur ce fabuleux parcours réalisé depuis plus de deux siècles.
Au-delà des évolutions liées à la construction d’une profession, il s’agit de la transformation d’un groupe professionnel qui compte parmi les acteurs engagés de tous les systèmes de la Santé à travers le monde et les temps. La période de crise sanitaire internationale que nous traversons actuellement affirme une fois de plus ce postulat. Florence Nightingale s’est illustrée en son temps comme la première infirmière hygiéniste de l’histoire, en sauvant des millions de vies par l’application de mesures simples, comme le lavage des mains.
Au fil des crises sanitaires successives, l’histoire des infirmières peut se lire en trois temps et continue de s’écrire quotidiennement à la lumière des enjeux du monde contemporain.
1. Hier : l’émergence d’un métier, centré sur le « Care »
À l’époque de Florence Nightingale, le rôle de l’infirmière était généralement assimilé à celui de la « nurse » : cette personne infiniment dévouée, qui avait la charge soit des jeunes enfants, soit des malades dépendants. Il ne s’agissait pas d’une profession, mais plutôt d’une vocation, voire même d’un « sacerdoce ».
L’influence de l’église était très forte, les infirmières étaient d’ailleurs souvent de jeunes femmes aux profils très divers, parfois même peu recommandables. Les maîtres mots étaient « dévouement », « charité » et « pitié ». En l’absence de formation à proprement parler, Florence Nightingale fut à l’origine de la création d’une des premières écoles d’infirmières.
Les religieuses veillaient alors, à l’aide de concepts religieux et de techniques de soins souvent empiriques, à façonner l’éducation de ces jeunes filles, à prendre soin inconditionnellement du « malade » qui leur était confié. Le volet maternel des soins infirmiers était central, axé notamment sur les aspects de confort, d’éducation et de suppléance pour le patient. La notion de « care » est alors au premier plan.
Le médecin revêt alors un rôle central et est le dépositaire autant de la connaissance que l’autorité. Le patient est davantage considéré comme un « objet de soins », confié à des infirmières assumant un rôle à la fois de confidente ou de garde-malade, titre qui était d’ailleurs celui des infirmières au Luxembourg jusqu’en 1968.
Le soignant, à peine visible dans cet univers, n’a pas droit à la parole : il n’est là que pour être, au mieux, le timide porte-voix du patient au cas où celui-ci serait interrogé.
La soumission aux pouvoir médicaux et religieux est forte et laisse peu de place quant à l’épanouissement personnel ou professionnel. Véritables figurants d’une pièce qui se joue sans eux, les infirmières vont peu à peu construire ce qui sera leur métier, puis deviendra véritablement une profession.
Ceci passera notamment par la formalisation de contenus de formation ou encore de l’écriture des concepts de soins depuis le début du 20ème siècle, par une autre grande dame : Virginia Henderson. Sa description de l’homme en bonne santé, et par déduction du malade, aura influencé toutes les infirmières en exercice dans notre pays et cela depuis des générations. Cette vision aura apporté aux infirmières de la visibilité et de la reconnaissance dans la société.
2. D’un métier à une profession, la valorisation du « Cure »
Autrefois occupation réservée aux jeunes filles, la place sociétale de l’infirmière s’est peu à peu améliorée, gagnant en respectabilité et reconnaissance, particulièrement au niveau de la population. Cette évolution va de pair avec la masculinisation progressive au cours du 20ème siècle. La carrière d’infirmière relève de plus en plus souvent d’un choix, inscrit dans la durée, au travers de projets professionnels multiples, qu’il est aujourd’hui possible de construire. La durée de la vie professionnelle ne va qu’en augmentant et la première génération aura fait une carrière complète jusqu’à la retraite.
Bien que calqué sur les horaires des ouvriers de la révolution Industrielle, les soignants, présents 24 heures par jour auprès des patients, ont su au gré des combats qu’ils ont mené, préserver un équilibre permettant d’allier vie professionnelle et vie familiale.
Le recrutement se recentre à mesure que les contenus s’étoffent et se spécialisent. Le métier d’infirmière est dorénavant protégé par la loi, qui rend son exercice exclusif, confié à des professionnels évalués, détenteurs d’une formation sanctionnée par un diplôme et autorisés par les pouvoir publics.
Nous parlons dorénavant de formations, apportant des connaissances et des savoirs propres, qui dès 1977 ont été codifiés, encadrant la formation par une directive européenne, autorisant la libre circulation des diplômes et des professionnels.
Ces savoirs vont de pair avec le développement et la diffusion d’une pensée soignante, partagée et reconnue. Elle ne s’appuie plus sur des préceptes religieux, mais dorénavant sur les théories de soins, développées par des pairs, qui construisent, étayent et diffusent la pensée soignante.
Cette pensée repose également sur des valeurs, liées notamment à l’éthique du soin, dont les infirmières assurent fréquemment la diffusion et le partage au travers de publications et d’interventions à des congrès.
Le positionnement professionnel s’est construit et se fait de plus en plus « à hauteur des yeux » avec le corps médical, au sein d’une relation équilibrée, dans laquelle les infirmières développent un rôle qui leur est « propre ». Il va de pair avec le développement des techniques, des progrès de la médecine (thérapies, antibiotiques, équipements de pointe…) consacrant la place du « cure » à l’hôpital.
La prise en charge des patients, devenue de plus en plus complexe, a demandé de construire un lien avec les autres disciplines, impliquées dans les prises en charge de ces patients. Cette dynamique nous a fait entrer dans la temporalité de l’interdisciplinarité.
Il ne s’agit pas de mimer la démarche médicale, mais bien de construire un modèle de pensée et de prise en charge différent et complémentaire, dont le premier bénéficiaire reste le patient.
À mesure de l’avancée du vingtième siècle, suscitant espoirs et avancées dans le domaine de la médecine, le métier d’infirmière s’est construit et renforcé, pour devenir aujourd’hui une profession à part entière.
La profession infirmière, reconnue comme porteuse, a pu acquérir depuis les années cinquante toutes les caractéristiques inhérentes aux professions, à savoir la présence :
- d’objectifs reconnus par la société,
- de contenus professionnels spécifiques,
- d’un contexte règlementaire avec des attributions propre à la profession,
- de responsabilités allant jusqu’au niveau médico-légal.
Le rôle soignant s’exprime dans une relation soignant-soigné où le concept du patient laisse peu à peu la place celui du client. Ce terme est à accueillir non pas dans sa signification courante, au sens commercial, mais plutôt dans une acception d’échange contractuel. Il s’agit d’un accord (formel autant qu’informel) entre un bénéficiaire et un professionnel qui se rencontrent et décident conjointement du parcours qu’ils vont réaliser ensemble. Ce parcours, déterminé sur la base de guidelines internationales et co-construit par les infirmières, veillera à retenir la meilleure organisation pour le patient, en dépit de la complexité hospitalière.
3. Aujourd’hui et demain : les perspectives d’une profession soutenant le « Core »
La profession infirmière a réussi à s’affirmer et se développer dans le monde contemporain de la Santé. Les leviers de cet ancrage, ont été ceux de l’expertise clinique acquise dans de nombreux domaines, ou encore par le biais de l’hyperspécialisation, allant souvent de pair avec l’investissement de nouveaux champs d’exercice, comme ceux des pratiques avancées.
Les infirmières se positionnent comme des partenaires fiables et solides dans la redéfinition des activités des différents professionnels, en proposant une nouvelle une offre de soin. Cette offre, au cœur des préoccupations contemporaines, liée notamment aux exigences de qualité et de sécurité, est portée et développée par les infirmières. En prenant en compte ses besoins, elle aide alors le patient à faire ses propres choix et l’invite à être l’acteur des décisions qu’il prend, au regard de ses valeurs et de ses sentiments.
Professionnelles au cœur des réalités économiques, sociales, sociétales et environnementales, elles savent se mobiliser face aux enjeux et défis de notre société.
Bravant leur modestie et leur discrétion naturelle, les infirmières s’affirment de plus en plus en prenant toute la part qu’il leur revient, tant au niveau managérial, associatif que politique. Elles inscrivent leurs actions et leurs combats dans une vision durable.
Le développement de la profession passe également par la pluridisciplinarité, inscrite au cœur de l’ADN soignant, notamment au travers des activités de coordination, qui font aujourd’hui la force des soignants.
La transversalité, développée et soutenue par les infirmières, permet la reconnaissance de tous et favorise l’investissement mutuel, à part égales, avec les autres partenaires du soin.
La profession s’engage dans un nouveau futur, celui de l’académisation : évolution naturelle d’une profession mature et reconnue. Cette intégration au système universitaire est la porte d’entrée vers de nouveaux champs de possibilités, soutenus notamment par la recherche en soins, véritable moteur de développement des pratiques et concepts.
Parallèlement, la structuration de la formation initiale autour des référentiels de compétences prépare cette académisation
L’ouverture aux parcours universitaires soutiendra cette transversalité assumée et partagée avec les autres professions de santé. Il ne s’agit plus de défendre l’exclusivité, mais plutôt de valoriser l’ouverture : le rôle infirmier, en se développant et se renforçant, laisse peu à peu la place à celui de soignant, plus vaste.
Au-delà de la coordination interprofessionnelle, la fonction soignante ne limite plus l’évolution de ces membres à des fonctions de management ou d’exercice spécialisé, mais ouvre vers plus de possibilités dans un monde de la santé en pleine mutation.
Aujourd’hui le patient ne souhaite plus être un objet de soins dans un monde hospitalier qui s’est prodigieusement complexifié. Mieux informé, il souhaite garder son autonomie et appréhender sa maladie à la lumière de ses propres choix. Les parcours de soins seront développés, adaptés et personnalisés afin d’offrir au patient une réponse la plus adaptée à ses besoins, à sa maladie et à ses souhaits. Nous nous retrouvons dans le « core ».
Les infirmières deviennent les pivots et les passeurs de relais, au sein de nombreux partenariats, visant à une prise en charge personnalisée et pluriprofessionnelle du patient.
Les soignants, premiers acteurs dans la création de ces parcours, devront alors développer un nouveau mode de prise en charge du patient, notamment par la coordination des différentes modalités possibles, créant passerelles et fast tracks là où c’est nécessaire.
L’approche n’est plus celle d’une contractualisation, peut-être trop restrictive et limitante, mais celle d’un partenariat, plus adapté aux nouvelles possibilités de prise en charge.
Le patient conserve sa place centrale, il est reconnu et ses attentes, son expérience est valorisée et partagée dans une démarche de « patient partenaire » où son avis, sa contribution est attendue en vue d’améliorer l’offre de soins qui lui est proposée. Il fixe lui-même ses objectifs, prend ses décisions selon ses valeurs, ses sentiments et ses souhaits. Le soignant est là pour accompagner le patient, le conseiller et le soutenir, avec empathie, professionnalisme et respect, dans une vision holistique revendiquée.
Conclusion
La profession infirmière, et plus largement soignante, a su relever les défis qui lui ont été lancés et aborde avec confiance et réalisme ceux qui s’annoncent, tels la digitalisation, la pénurie des ressources, le virage ambulatoire ou encore les arbitrages macroéconomiques.
Preuve en est encore aujourd’hui où les soignants font face à l’épidémie actuelle avec courage, compétence et détermination. Ils parviennent à faire porter la voix du patient, même quand celui-ci est isolé, en mettant tout en œuvre pour lui. Dans le même temps, ils se mobilisent massivement afin d’influencer politiquement les décisions visant à protéger et conscientiser les populations face aux risques encourus.
Les professions soignantes poursuivent leur route, tracée il y a plus de deux cents ans par une des leurs. Les victoires et les crises se sont succédé, sans jamais les détourner du cœur de leur préoccupation : le patient.
La force des professions soignantes réside sans nul doute leur résilience collective qui leur permet d’aborder le futur avec force, confiance et optimisme, plus mobilisés que jamais.
Afin de fêter ensemble cet anniversaire unique, nous avions prévu un cycle de conférences investissant tous les aspects des professions soignantes, orientés vers le futur de nos pratiques. Nous espérons pouvoir compter, respectivement fin septembre et début novembre, sur deux intervenantes de renommée internationale qui pourront nous partager, avec nous, leurs visions.